Christopher Lee : du sang et des armes

En 1986, dans le bureau de la rue Hippolyte Lebas, nous avions lancé le mensuel Raids consacré aux forces armées et plus particulièrement aux troupes d’élites. Un titre qui, évidemment, connaîtra son apogée lors de la Guerre du Golfe.
Dans les premiers numéros, nous avions publié une série de “Raids fictions” dont un consacré à la libération de nos otages au Liban, qui nous avait valu des menaces de mort dans la presse du Hezbollah. Dès lors, nous avions pris l’habitude de travailler en fermant les volets métalliques des fenêtres donnant sur la rue.
Un soir d’octobre, je reçus un appel téléphonique. Mon interlocuteur, qui avait une voix sonore et caverneuse, voulait souscrire un abonnement. Je lui demandai donc son nom et son adresse et il me répondit dans un français impeccable :
– Je m’appelle Christopher Lee, j’habite Londres
– Etes-vous le célèbre acteur ?
– Je suis acteur, mais c’est en qualité d’ancien SAS que je souhaite m’abonner, et peut-être vous rencontrer car je suis collectionneur d’insignes et de couteaux de combat des troupes d’élite.
– Je dois me rendre à Londres le mois prochain, pourrions-nous faire connaissance, et éventuellement procéder à une interview ?
– Avec plaisir…

Je dois dire que je connaissais essentiellement cet acteur dans le rôle de Dracula et quelques autres dans les films si particuliers de la Hammer, petite compagnie spécialisée dans les films dits d’horreur. Nous étions, mes copains et moi, très friands de ce genre cinématographique dans notre jeunesse. Il y avait une salle spécialisée près de la place Clichy. Nous pouvions y visionner les Dracula, Frankenstein, Le chien des Baskerville et autres films produits par cette compagnie… Roland m’avait accompagné quelquefois, mais il préférait les comiques comme Jerry Lewis.

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En novembre donc, en plus de mes rendez-vous commerciaux traditionnels, je rendis visite à Christopher Lee dans son luxueux appartement dans le quartier chic de Belgravia. Situé au centre du grand Londres, à quelques encablures de Buckingham Palace, c’est le quartier riche et cossu de Londres.  De luxueuses habitations de même style entourent un jardin rectangulaire, un square. Ainsi Cadogan square, où demeurait notre interlocuteur.

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Sir Christopher Frank Carandini Lee, bien que personnage affable, est impressionnant. De grande taille, svelte. Son visage sans maquillage et sans ses fausses dents menaçantes reste malgré tout celui du comte Dracula. Sa voix est puissante et gutturale. Son ton est posé, son français impeccable, chaque mot est précis. Sa tenue décontractée, jeans et chemisette blanche, atténue la solennité du discours.

J’étais accompagné d’Eric M., rédacteur en chef du magazine, ancien du 11e choc, et du photographe attitré de l’édition.

Chez Christopher Lee 1986

Dans sa bibliothèque, plusieurs tomes reliés en cuir noir répertoriaient l’importante filmographie de notre hôte : 225 films de qualité et de réputation inégales. A l’époque, il n’avait pas encore entamée sa carrière de chanteur heavy metal dont je n’ai gardé aucun souvenir.

Dans un couloir longeant le salon, un mur exposait une collection de médailles, de pucelles, d’armes blanches et autres couteaux de jet, mais aussi le “pistolet d’or” qu’il utilisait dans l’épisode de James Bond L’Homme au Pistolet d’Or où il interprétait forcément le méchant.

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Toutefois, la discussion ne porta jamais sur le cinéma, mais sur les activités militaires et paramilitaires de Christopher. D’abord volontaire en Finlande, il s’engagera ensuite dans la R.A.F mais un problème oculaire l’empêche de devenir pilote. Il est alors versé dans le renseignement. Finalement, il servira dans le Special Operation Executive (S.O.E.), créé par Churchill pour aider les mouvements de résistance.

Je passe sur ce qui concernait l’Angola où il fut “policier”, l’Afrique du Nord au sein du “Long Range Desert Group”, l’Afrique du Sud, et d’autres missions “off”, qu’il ne nous était pas possible de relater, pour aborder plus précisément l’année 1944 et particulièrement  deux sites d’opérations.

Notre interlocuteur, fils d’un général et d’une aristocrate, est aussi le cousin de Ian Fleming, l’auteur de James Bond. Il parlait 6 langues, dont le russe, le français, l’italien, l’allemand. C’était un atout important pour les missions de renseignement, en particulier dans les Balkans :

Churchill l’avait parachuté en Yougoslavie, pour rencontrer les différents maquis et les responsables dont, bien sûr, Tito, et le roi Pierre II. Le premier ministre anglais voulait obtenir le droit de passage et l’aide des maquisards pour attaquer l’Allemagne sur un front sud, à partir des troupes alliées débarquées en Italie. Mais surtout, insiste notre interlocuteur, il fallait couper la route des troupes soviétiques dont il craignait qu’elles arrivent à Berlin avant les alliés. Ce plan échouera, on le sait, Staline tenait idéologiquement Tito, et le président Roosevelt estimait Staline pour un allié sincère : il l’appelait Oncle Jo, et s’en méfiait si peu qu’à la conférence de Yalta, il avait accepté l’hospitalité de l’ambassade russe, où sa chambre était truffée de micros.

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Le deuxième récit que nous fit l’ancien S.A.S. concernait la prise de Monte Cassino, ce monastère perché, devenu un point clef de la ligne allemande Gustave qui coupait l’avancée alliée en direction de Rome. Cette bataille va durer de janvier à mai 1944, ce qui retardera le transfert des troupes d’Italie pour le débarquement de Normandie.

La défense allemande contiendra les vagues d’assauts blindés et d’infanterie américaines et anglaises, néo- zélandaises, françaises et polonaises précédées de terribles préparations d’artillerie. Les pertes des deux côtés sont effroyables.

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C’était comme la Marne de 14-18. En cinq mois, les pertes alliées s’élèveront à 115 000 hommes, les Allemands retranchés compteront 60 000 victimes. Christopher Lee commandait un régiment de Gurkhas, troupes coloniales indiennes d’origine népalaise. La devise de ce peuple guerrier est : “les plus braves des braves”!

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Gurkhas à Monte Cassino

Les Français engageront dans cette bataille, sous les ordres du Général Juin :

la 2e division d’infanterie marocaine (2e DIM), la 4e division marocaine de montagne (4e DMM), et trois Groupes de Tabors marocains en dehors des troupes conventionnelles. Ce sont ces divisions qui feront parler d’elles car elles vont attaquer de nuit, sans préparation d’artillerie, et procéderont à un nettoyage des positions allemandes à l’arme blanche.

Je n’oublierai jamais le regard de Christopher Lee et la pâleur qui gagnait son visage lorsqu’il évoqua ces combattants :

“Mes Gurkhas n’étaient pas des tendres, mais vos Tabors… quelle horreur.”

Il est vrai que ces guerriers furent accusés par la suite de crimes de guerre effroyables…

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Tabors à l’assaut de Monte Cassino

Je ne revis ce passionnant personnage qu’une fois, l’année suivante, dans la librairie de l’avenue de la République que nous venions d’ouvrir. Il consacra l’essentiel de son temps à visiter avec Eric M. les antiquaires et les collectionneurs spécialisés.

Mon dernier souvenir de lui est loin du fait d’armes : il était aux toilettes depuis lesquelles il nous lançait un sonore cri de détresse :”Il n’y a plus de papier !”

 

L’histoire est un mélange de gloire et d’anodin…

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