André Fleury : son histoire dans l’Histoire 3

André l’africain

Nous voici donc le 2 septembre 1940. Évadé du stalag d’Orléans le 25 août, il lui a fallu peu de temps pour rejoindre Aix en Provence. Le R.I.C.M. le démobilise : ce régiment est dissous. Il n’y était que réserviste.

Les derniers mois qu’il y a vécu ont été rudes. Des combats violents, ses frères d’armes tués à ses côtés, la retraite humiliante et continue puis, finalement, la captivité et ses privations. Nous ignorons les conditions de son évasion, mais celle-ci démontre qu’il a gardé de l’énergie, de la maitrise et de la concentration.

Son “statut” d’évadé ne lui permet pas de rejoindre sa famille, laquelle risque des représailles de la part des autorités d’occupation. Démobilisé, il voit sa “famille militaire” s’évanouir à son tour. On peut penser que psychologiquement il est déstabilisé. Toutefois, sa fréquente présence dans la région d’Aix-Marseille, nous invite à imaginer qu’il y avait créé des relations amicales et aussi, très probablement, intimes.

Sa vie civile s’achève le 21 octobre 1941. Il s’engage dans la Légion étrangère sous le pseudonyme de Van de Vald, né à Lagoyen en Belgique. Il est affecté à l’intendance générale militaire. Il est incorporé au D.C.R.E. (dépôt commun des régiments étrangers) le 14 décembre 1941. Il est dirigé sur Oujda (Maroc) où il arrive le 16 février 1942.CPA-Maroc-OUDJA-Entrée-principale-de-la - Copie

 

Il passe alors au 2e R.E.I. (Régiment Étranger d’Infanterie). Le 3 mars, il est mis en route sur Ouarzazate, où il est affecté au 3e R.E.I. le 16 décembre 1942.

En 1942, l’armée d’Afrique du nord compte environ 150 000 hommes, disposant de l’artillerie de campagne, mais dont l’équipement en artillerie lourde, anti-char et anti-aérienne est dérisoire, ainsi que le matériel de transmission et automobile. Elle dépend de Vichy et des conditions de l’armistice. Jusque fin 1941, le général Weygand l’entretient dans un secret esprit de revanche, pendant son proconsulat. Il sera démis de ses fonctions à la demande de l’autorité allemande. Le commandement est alors confié au général Juin.Lgion_Ouarzazate

La Légion à Ourzazate

Le 8 novembre 1942 : Opération Torch, les forces anglo-américaines débarquent simultanément à Casablanca, Oran, et Alger. 200 bâtiments de guerre et 110 navires vont débarquer 105 000 hommes dont 1/3 sur les côtes marocaines

l'avenir 8 nov1942

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L’Avenir du 8 novembre 1942

 

Si à Alger le putsch de la résistance favorable aux alliés réussit, il échoue au Maroc et l’armée française du général Juin tentera de s’opposer au débarquement anglo-américain. Dans ces violents affrontements, les français perdront un millier d’hommes.

De ces combats, la Légion étrangère est absente. Mais l’arrivée des troupes alliées au Maroc, à Alger et Oran, est le tournant de la 2e Guerre Mondiale. L’armée de Vichy abandonne ses positions tunisiennes aux troupes italo-allemandes.

La Légion étrangère va alors faire mouvement vers l’Algérie et la Tunisie.

Notre oncle est affecté au 3e R.E.I. le 16 décembre 1942. Sa fiche précise, “Parti aux armées le 26 décembre”. Depuis le 15 décembre, plusieurs bataillons du 3e R.E.I. sont regroupés au sein du 3e R.E.I.M. (Régiment Étranger d’Infanterie de Marche). Rassemblés à Sidi Bel Abbes, ils font marche vers la Tunisie sous les ordres du lieutenant-colonel Lambert.

La campagne de Tunisie se déroule du 17 novembre 1942 au 13 mai 1943. Elle oppose 80 000 allemands et 110 000 italiens face à 130 000 soldats britanniques, 95 000 américains 75 000 soldats français et coloniaux de l’armée d’Afrique, complétés des Forces Françaises libres.

En janvier 1943, le R.E.I.M. est engagé pour résister à l’offensive allemande. L’armée de Rommel, repoussée d’El Alamein par Montgomery, s’efforce de faire sa jonction avec les troupes de Von Armin implantées à Tunis. La mission du 3e R.E.I.M. est d’occuper le terrain pour empêcher le regroupement des troupes italo-germaniques.

André Fleury, blessé (pied traversé par une balle le 11 janvier), est évacué le 13 janvier vers l’hôpital de Bel Abbes où il n’est admis que le 18 février.

Le 18 janvier, le R.E.I.M. est anéanti après avoir fait connaissance avec les premiers chars “tigre”. Les pertes sont énormes : 35 officiers et 1639 soldats. Encore une fois, comme en juin 40, notre oncle l’a échappé belle.

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Célèbre photo de la Légion en Tunisie 1943

Témoignage de Lucien Moray (légionnaire belge):

“Dès le surlendemain du débarquement allié en Afrique du Nord, on formait des détachements qui allaient se précipiter en Tunisie pour faire face aux Allemands. Le colonel Lambert forme le 3e REI avec des hommes venus du Maroc. Le 1er REI du colonel Gentil est composé de la demi-brigade rentrant du Sénégal et des effectifs prélevés sur les unités de Bel-Abbès.
Nous voilà dans un train : 800 kilomètres en chemin de fer à voie unique dans un terrain montagneux.  Nous avons cru que la vieille locomotive n’y arriverait pas. Et pourtant, sitôt débarqués en Tunisie, notre mission est confirmée.
Nous devons progresser par El-Aroussa, Bou-Arada vers la Grande Dorsale et le Djebel Mansour.

(…)

« En avant ! ».  Sitôt engagés dans la plaine,  un déluge de feu s’abat sur nos carcasses.  Il n’est pas question de reculer. Malgré les morts et les blessés, par bonds, comme sur le terrain d’exercice, nous progressons. Un éclatement voisin me fait faire un énorme cumulet.  Il me faut tout un temps pour retrouver mes esprits… Je dois avoir la « baraka ».

(…)

Sales, harassés, hagards, perdus, nous nous cherchons les uns les autres dans la zone des arrières. On nous distribue des fusils américains et des tenues propres.  Le temps ne s’arrange pas.  Le charroi s’enlise dans la boue. Que ferions-nous sans nos bons vieux mulets ? Nous percevons de plus en plus la montée des renforts anglo-américains. Aurions-nous accompli notre mission : « Tenir jusqu’à leur arrivée ? L’année s’achève sur cette hantise : voir les Boches foncer sur nous avec leurs mécaniques blindées, ces énormes « Panzers » et cette aviation supérieure à la nôtre. Les chars « Tigre » se montrèrent encore du 8 au 28 janvier 1943.  Je n’étais plus canonnier.  J’étais redevenu un fantassin ordinaire.

(…)

Longtemps après la guerre,  j’ai appris de la bouche d’un officier de la Légion, à Aubagne, que les unités de la Légion Etrangère avaient payé un terrible tribut à cette campagne et que plus de 250 belges, engagés dans les képis blancs,  avaient été tués.  Je n’oublierai jamais cette période du 18 au 28 janvier 1943.
Je n’aurais pas du y survivre. Elle dépasse en tueries tout ce que j’ai pu connaître par la suite, pendant la campagne de Normandie, celle de Belgique ou de Hollande. L’aide américaine, équipée de tanks « Shermann » et de « Tank Destroyers », ces half tracks surmontés d’un canon de 75 mm, allaient souffrir en face des « Tigres » et canons de 88 mm allemands, notamment devant Sbeïtla. Le front ne se stabilisa qu’en fin février 1943.”

Avoir le pied traversé par une balle est rédhibitoire pour un fantassin. Dès lors, l’oncle André va aller de l’hôpital de Bel Abbes, à celui de Mascara puis d’Oran entre des affectations au D.C.R.E., des réaffectations au 3e R.E.I. voire même au 15e R.T.S. à Philippeville où il se passe alors des évènements prémonitoires : des affrontements entre la population autochtone et le 15e RTS. Les américains s’interposeront.

bel abbes

Bel Abbes

Il va connaître plusieurs périodes de convalescence et sera, à différentes reprises, déclaré en absence illégale ou manquant à l’appel. On lit aussi qu’il fut ramené sous escorte de gendarmerie à Bel Abbes, le 7 juillet 1943.

Evidemment, cette mention nous fait sursauter. Il ne peut être question d’une simple désertion. Elle aurait donné lieu à un jugement du tribunal militaire et, en temps de guerre, la sanction est définitive…

Comprenons :

Le 13 mai 1943, l’Afrika korps de Rommel évacue l’Afrique du nord. Les alliés et les français libres vont partir envahir la Sicile puis l’Italie.

A cette époque, les absences, les tentatives de désertion, sont fréquentes au sein de l’armée d’Afrique en général et des légionnaires d’origine française en particulier. Les chefs de cette armée anciennement vichystes ont décroché avec peine les portraits du maréchal Pétain dans les bureaux, les mess et les cantines. Quelquefois, le portrait du général Giraud remplacera celui du Maréchal. Giraud est pétainiste, il est partisan de “l’ordre nouveau”, mais assez discrètement car la résistance gaulliste n’est pas dupe. Il est imposé par les américains qui détestent De Gaulle.

L’armée d’Afrique va fréquemment entrer en contact avec les forces françaises libres, en particulier celles du général Leclerc. Leur enthousiasme, mais aussi leur armement et équipement supérieur, est donc séduisant. Leur ambition sur le long terme, la libération du territoire national, est plus valorisant que l’occupation des casernements nord africains que connaissent trop les coloniaux. Il y aura donc beaucoup de “passerelles”. Sans doute notre oncle a t’il été tenté de rejoindre les français de Leclerc, ceux du “serment de Koufra…”

André, réaffecté au D.C.R.E. est reconnu inapte. Il est de nouveau à Bel Abbes le 5 octobre 1943, puis retourné sur Casablanca le 16 octobre.

Casablanca vue aérienne du port 1935

Le 20 octobre, il est détaché à la chaine de montage du matériel américain, puis à la Compagnie d’Ouvriers Monteurs qui devient la Compagnie d’Assemblage n°81, le 1er mars 1944.

Le 1er mai, il est promu au grade de 1ère classe. Il mouvementera entre Casablanca et Bel Abbes.

En France, la libération du territoire est assez avancée, aussi pourra t-il donner des nouvelles à sa famille, puisqu’on peut lire dans la lettre de Maman Marie à sa sœur Laure de Saint Hippolyte du 6 février 1945 :

“Je veux te donner quelques détails de nos enfants. André, depuis la libération nous en avons régulièrement. Il va bien, et il a des nouvelles aussi à présent mais le pauvre a bien souffert d’être privé de nouvelles aussi. Il a fait la campagne de Tunisie et a été blessé à la cheville. Il a une faiblesse du pied mais il conduit un camion, il est à Oran en Algérie, il ne se plaint pas du tout”.

Cette lettre nous permet en outre de connaître la situation de toute la famille d’alors :

“Louis a été blessé aussi à la cuisse et est reparti à Casablanca au Maroc. Berthe est à Paris, son mari est aux pompiers. C’est nous qui gardons sa fille. Elle a 15 mois elle court partout. Elle est trop gâtée mais heureusement que nous l’avons pour nous distraire, on trouve le temps grand, nous ne sommes plus rien que tous les deux Henri et moi et la plus jeune des petites (Madeleine NDLR) qui rentre tous les après midi. Elle couche à la maison. Cécile et Brigitte sont toujours au château. Cette fois Riri a 20 ans, il est engagé aussi au train régimentaire. Le mari de Paulette est aussi engagé. Chez nous il n’y a rien que du mari de Cécile dont nous n’avons pas de nouvelles. Il a été mis par obligation travailleur libre. Jusqu’au mois d’août Cécile avait des nouvelles régulièrement, mais à présent, plus rien.”

Le 10 février 1945, André embarque à Oran sur le Sidi Brahim à destination de la métropole et débarque à Marseille. Cette guerre est finie pour lui. Le 8 mai suivant, elle sera finie pour tous en Europe.

 

Andre legionnaire1946  A suivre : André le marseillais

 

 

6 réflexions sur “André Fleury : son histoire dans l’Histoire 3

  1. J’ai beaucoup de respect pour le courrier de Marie Fleury, c’est juste la forme d’expression pour les gendres qui m’a interpellé.

    Je voulais aussi noté qu’on avait pas réalisé à l’époque que tous s’étaient engagés pour la fin de la guerre. Et j’ignorais que le Ludo avait été blessé également.

  2. quelques fois les frangins sont agaçants :
    1/ Laurent : tu as reçu toutes mes bonnes feuilles, mes brouillons dirons nous. Je te demandais de me relire pour vérification à chaque fois que je modifiais mon texte après ajout. Alors ? Cette erreur minuscule te t’apparait qu’après publication… Racontes nous plutôt comment tu t’es procuré le courrier que Marie envoie à Laure.
    2/ Didier : Tu manques de recul historique : Notre grand mère, qui n’a pas vu sa sœur, ni pu correspondre avec elle, depuis des années lui parle de ses enfants, ceux dont la sœur Laure connait les prénoms. Les conjoints sont tous nouveaux et leur noms ou prénoms n’apporteraient rien à Laure.
    Dans la tête de Marie Fleury, ses gendres ou futurs gendres sont bien présents, mais ses moyens d’expression sont assez frustres. Je n’ai corrigé que l’orthographe, pas le vocabulaire. Ainsi s’exprimait on dans ce milieu à cette époque et de ce milieu nous en sommes issus. Je n’en ai pas honte.

  3. 2 réflections après ce nouvel épisode effroyable et passionnant
    Tu pouvais être inapte un jour et bon pour le service le lendemain. Rien n’était définitif sauf la mort à cette époque. Blessé au pied un jour et en marche le lendemain.

    La lettre de Maman Marie est émouvante mais je remarque que ses gendres non pas de prénom juste le statut de mari de.

    Et nous apprenons que Miette à été trop gâtée, ce qui n’était pas rien en ces temps de rationnement.

  4. Bonjour à tous,

    Une petite correction sur le nom de Légionnaire de l’oncle André .
    Sa vie civile s’achève le 21 octobre 1941. Il s’engage à la Légion Etrangère sous le pseudonyme de Van Dewald, né à Lagoyen en Belgique.
    Il faut lire “Van de Vald André”.

    Bises à tous.

  5. Impressionnant travail de recherche , il est plaisant malgré toutes les horreurs décrites de tracer la vie des notre.
    J’attend avec impatience la suite l’histoire de cet Oncle et par de là de notre famille.
    bravo et Merci les Fragins.

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