André Fleury : son histoire dans l’Histoire 5

André au Tonkin

Le 22 mars 1948, André Fleury embarque à Oran en direction de Saïgon où il arrivera le 24 avril d’après son livret militaire.

C’est un long et beau voyage même si les conditions d’hébergement à bord sont quelquefois sommaires. On croise au large Port Saïd, puis Suez pour emprunter le canal, la mer Rouge et Djibouti où s’effectue généralement l’escale de ravitaillement. Puis, c’est l’océan Indien, au large de Colombo, Ceylan, Singapour et enfin Saïgon, le cap Saint Jacques.

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Débarquement au cap Saint Jacques 1950 (col Cdt Jaubert)

Dans un courrier du 13 mai 1948, à sa sœur Berthe, il évoque son voyage et sa vie dans ce nouveau pays :

Mes biens chers,

Vous devez vous demander si je suis mort ou vivant. Vous voyez, je suis toujours vivant et tout va pour le mieux, la santé est bonne, le moral aussi et la vie suit son cours comme par le passé sans aucun incident. Comme vous le savez certainement, je suis en Indochine. Depuis le 11 février que j’ai quitté Marseille, je suis pour ainsi dire toujours en voyage, débarqué à Saïgon le 23 avril après un voyage par mer de 43 jours je n’ai pas arrêté de voyager. Je suis ici (à Tourane) pour une dizaine de jours en attendant un bateau pour rejoindre mon régiment à la frontière de Chine, j’en ai jusqu’à la fin du mois avant d’arriver à destination. Ici tout change avec les pays que j’avais connus, mœurs, habitudes, genre de vie et tout. Quand à la chaleur, je la trouve supportable bien qu’il fasse très chaud. Je n’en souffre pas. Quand à la vie, elle est très chère, suivant les régions cela change, ce qui est le plus cher sont les produits qui viennent de France. Quand aux denrées du pays, elles sont relativement bon marché. La solde assez intéressante, pas de mess à payer, cigare et pas mal de bricoles gratuites. Quoi de nouveau, la vie est elle toujours aussi chère en France ?  Dans un an on verra, le retour arrivera et la vie civile aussi. C’est la dernière année que je vais passer à la vie militaire, après il faudra se réadapter à vivre comme tout le monde et se débrouiller seul. J’espère pouvoir y parvenir. Du point de vue sécurité,  j’oubliais de vous dire que tout est assez calme. Quelques grenades explosent de temps à autre, quelques embuscades. C’est les embuscades qui sont le plus à craindre et qui sont les plus meurtrières. Je m’en suis toujours sorti jusqu’à présent. J’arriverai bien à me débrouiller jusqu’à la fin. Je vais terminer pour cette fois, j’espère que votre fille continue de grandir. Je vous dirai que j’ai écrit à tout le monde. Nos parents ont dû se faire pas mal de soucis à mon sujet. Que voulez vous quand on est militaire il faut aller où on vous envoie. J’aurai peut-être pu m’en dispenser en me débrouillant avec le toubib mais je n’ai pas voulu, cela m’aurait fait l’effet d’être un lâche et un froussard.

A bientôt la joie de vous lire Bons baisers à tous

carte de circulation 1947 - Copie

 

Puis vient la lettre du 14 juillet 1948.

Ici je me trouve en pleine brousse dans un petit village dans les montagnes. Pas un européen, quelques indigènes, la plupart chinois. Je suis à 100 km de Lang-son, 300 km d’Haïphong, à une trentaine de kilomètres de la frontière de Chine, une région très boisée où se trouvent encore tigres et panthères. Je ne me plains pas, je me trouve très bien.

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Environs de Dong Khé

La carte ci dessous nous permet de situer la position tenue par notre oncle lorsqu’il rédige cette lettre. Les petits triangles oranges représentent les emplacements occupés par les différents bataillons du 3e R.E.I. Notre oncle étant du 3e bataillon, on le situera donc sur l’une des 3 positions suivantes : 41 est, 41 ouest ou 45, donc à proximité de la courbe du Song ky kong près de That Khé.

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Le 16 août 1949, il est admis à l’hôpital militaire de Langson dont il sortira le 25 ; son livret militaire nous parle d’éclats au bras droit le 18.07.49 à Phuc-Hoa, près de Cao Bang. Il n’en est pas fait mention dans sa correspondance. Cet endroit sera évacué le 23 juillet (opération Lucienne).

On se rend compte ainsi combien les courriers rassurants qu’il envoie à la famille sont loin de la réalité. Les positions qu’occupent le 3e R.E.I. sont constamment attaquées par les assauts Viêt-Cong.

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Le 6 octobre 1948, il écrit :

Pendant 23  jours nous avons été privés de toute communication pont coupé et nous étions séparés de tout (…) le reste du ravitaillement arrivait par parachutage.

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That Khê

Quand on connait la dangerosité de la situation dans laquelle il se trouve, à lire tous les témoignages connus depuis, il ne semble pas s’en soucier. Peut être veut-il ne pas alarmer la famille. Il pense à la démobilisation prochaine. Ainsi dans une lettre du 22 octobre 1948 :

quand à moi, cela tire à sa fin mais ce n’est pas sans appréhension que je vois venir la vie civile, je vais me trouver complètement perdu, obligé de me trouver un logement, se reprendre des habitudes que j’ai perdues depuis bien longtemps…

Le 27 mars 1949, il écrivait à sa sœur Cécile :

L’an prochain je rentrerai dans la vie civile, j’ai quelques économies, j’aurai ma pension et mes bras pour travailler, je ne suis pas à plaindre.

Et pourtant, la situation du corps expéditionnaire est particulièrement grave en cette année 1949, et la direction des troupes est pour le moins sujette à des erreurs de stratégie quand il ne s’agit d’erreurs de comportement.

Le commandement du 3e R.E.I. est assuré par le général Constans dont les subordonnés et les historiens donnent une image très peu flatteuse :

Quand au milieu de l’année 1949, il obtient le commandement du 3è REI et de la zone frontière à Lang son, le colonel Constans vient directement des troupes du Maroc où il a servi aux affaires indigènes, puis dans les Goums. Durant près d’un an, Constans va faire parler de lui, moins pour ses capacités opérationnelles que par son goût du faste. Transformant Lang son en une nouvelle Rome.

Paul Bonnecarrère a décrit avec le talent qu’on lui connait, la garde prétorienne dont il s’entoure : légionnaires de plus d’1m90 en grande tenue, les réceptions sybaritiques organisées par le sergent-chef Burgens, ci-devant Vicomte de Broca et dignitaire du régime de Vichy. La réalité des combats fera voler en éclat le clinquant du personnage et son attitude durant la bataille le désignera aux ressentiments des combattants, prisonniers ou rescapés.

“Au lieu de se porter au plus près, à That Khé, le colonel Constans est resté terré dans son lointain PC de Lang son, à 100 km des combats.
Erreur qui a une portée psychologique et pratique grave.
Psychologique, car dans son PC lointain, on ne sent ni le terrain ni les combattants.
Et ceux-ci aiment se sentir soutenus et compris par un chef proche.
Pratique, car de That Khé, les liaisons radio auraient été plus faciles, et le Colonel Constans aurait pu, à plusieurs reprises, survoler le terrain en Criquet pour se rendre compte de la situation, prendre des contacts directs en phonie, décider des ordres”.

Il persista dans son aveuglement pendant 15 jours, il cèdera enfin à la panique en évacuant Lang son et en laissant au Viêt Minh un matériel pouvant équiper une brigade au complet.

Il ne survivra pas au désastre, il abandonnera le 3e REI le mois suivant.
On le reverra plus tard en Algérie, tentant de nouer le dialogue avec le FLN.
(Témoignage d’un site d’anciens combattants )

colonel constant 3e rei

colonel Constans

Nous voyons bien là ce que les historiens s’accordent à constater : l’aventure indochinoise c’est le courage héroïque des combattants offerts à l’assaut ennemi et l’incompétence notoire de l’état major.

Andre legionnaire1946 A suivre : Rc4, la route du sang.

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