Les Elephants d’Hannibal

Cette année “l’Obs.” n’a pas encore consacré aux marronniers  habituels de la rentrée : le salaire des cadres, les francs maçons et la politique.

Par contre, j’y ai récemment trouvé un article reprenant les spéculations historiques sur une grande énigme : Par quel col Hannibal et ses éléphants ont ils franchi les Alpes pour envahir l’Italie romaine ?

On y retrouve les pistes traditionnelles :

1- La Turbie dans les Alpes maritimes : C’est le point le plus facile à franchir évidemment, mais la visibilité ne permet pas l’effet de surprise.

2 – Le col de Montgenèvre, facile à franchir, 1850 m d’altitude, qui débouche sur la voie Domitia, voie principale de l’époque pour  pénétrer l’Italie.  Ce col est choisi par Tite Live, historien de la Rome antique. Il est né vers 60 avant J.C. L’invasion de l’Italie par Hannibal date de 218 avant J.-C. au début de la deuxième guerre punique. Je ne sais pas comment il légitime son affirmation, mais je pense que, bien  gardé par les légionnaires, ce col ne permet pas non plus d’effet de surprise.

3-  Le col Agnel, qui revendique à Fontgillarde l’insigne honneur d’être l’ itinéraire officiel.

4- Enfin, et là c’est surprenant, le col de la Traversette dont le point de départ est le “belvédère du Viso”.

hannibal-traversant-les-alpes-a-dos-elephant-nicolas-poussinPeinture de Nicolas Poussin (1594-1665)

Dans un livre consacré à l’histoire du Queyras que j’avais lu à Tangente (Chalet à Fontgillarde), les historiens répertorient toutes les prétentions. C’est un peu comme le centre de la France, revendiqué par plusieurs communes de l’Allier.

La prétention du col Agnel est affirmée à Fontgillarde par le rocher d’Hannibal, lequel  nous fait  rêver que cette route est le chemin de passage de nombreux héros historiques :

le-rocher-annibal-au-bord-de-la-route-du-col-agnel“Rocher d’Hannibal” à la sortie de Fontgillarde en direction du col Agnel

Voici les personnages revendiqués sur la plaque du rocher :

la-plaque-rappelant-les-faits-historiques-averes-et-moins-averes-du-rocher-annibal

Cette plaque ne fait pas mention du tour de France en 2008, toutefois personne ne se souvient plus du vainqueur, dopé ou non.

Mais étudions maintenant l’hypothèse du “Col de la Traversette”. J’aime ce col que nous avons gravi à plusieurs reprises, dont la première fois en 1972. Yvonne était alors enceinte d’Alan, ce qui n’entrava pas son pas alerte d’alors.

La rando démarre au Belvédère du Viso, cette montagne à l’allure si remarquable, qui marque aussi la frontière avec l’Italie :

1987 tangente et environs 007Yves (1987)-Le Viso vu du belvédère.Au fond le col de Valente

Jusque dans les années 80, nous pouvions garer les voitures au pied du belvédère, puis la route fut interdite aux véhicules à partir de l’Echalp, ce qui rajoute une petite heure de marche d’approche à une montée généralement considérée de 4 heures. Certes, cela ne change rien pour nos éléphants.

La première partie de la randonnée est sur un chemin en alpage, où s’exhale comme un parfum de pain d’épices ; aucune difficulté, surtout au petit matin. J’y ai des souvenirs de chansons à tue tête sur ce sentier, souvent du Charles Trenet, même si Jean Claude, notre copain de Caen, aimait par dérision interpréter  Sheila ou Franck Alamo :” Biche oh ma biche…”Le paysage nous rendait lyrique.

1993 Autour de la meige 005Yvonne 1993

Jusque là donc, aucune difficulté pour un éléphant, même souffrant d’un cor au pied.  Après deux heures d’alpages, le paysage change progressivement, les roches noires caillouteuses jonchent le parcours, jusqu’à une plate forme, où il est agréable de consommer le premier pique nique.

1993 Autour de la meige 0011993 Alan Lucie & Yvonne :  casse- croute

C’est une zone fangeuse, humide, probablement un névé qui fond l’été, et qui recueille les fontes de glaces et autres écoulements alentours. Des chercheurs historiens canadiens, affirment avoir trouvé des excréments de cheval, dont la datation au carbone 14 prouverait que ceux-ci sont proches de 218 avant J.C. et par conséquent, qu’Hannibal est bien passé par là. Tabernacle ! N’avaient-ils pas abusé de sirop d’érable ?

lieu-fouille-crottin-traversette-equipe-belfast-torontoPhoto: Envie de Queyras

C’est donc ainsi que fut reprise la rumeur  du passage des éléphants au col de la Traversette  mise à jour par une équipe anglo-saxonne :

“Bill Mahaney et son équipe internationale d’archéologues (Canada, Angleterre, Irlande, USA, Estonie, France) ont analysé en 2015 une tourbière située sous le col de la Traversette, c’est là qu’ils ont carotté, c’est bien une “zone marécageuse inondable”, et y ont trouvé des traces de déjections animales, plus exactement des crottins et des traces « extrêmement bien conservées » d’une bactérie appelée Clostridia, que l’on trouve dans le crottin de cheval. Les crottins ont subi une datation qui les ramène justement à l’époque d’Hannibal, preuve selon eux d’un passage massif d’animaux datant de cette époque”.

Après “un cheval-une alouette”, “une crotte de cheval- un éléphant !” Elémentaire mon cher Watson…

Mais continuons notre randonnée. La pente s’accentue pierreuse  et étroite sous la crête noirâtre qui sépare la France de l’Italie.

traversette dernière

l’ascension devient plus pénible, le sentier s’effrite et devient glissant. Quelques dizaines de mètres avant le sommet, on aperçoit sur la gauche du sentier un souterrain qui permet de traverser sous la crête frontière. La photo ci dessous est intéressante mais lorsque nous l’avons abordé à différentes reprises, l’entrée était prise dans les glaces et en rendait la pénétration malaisée.

DSC_8542

Les historiens du Queyras attribuent le creusement du tunnel à des contrebandiers, notamment de bovins. Sachant que l’homme n’y accède que vouté, cette légende est démentie, alors, pour les éléphants nous n’en parlerons même pas.

tunnel traversettel’intérieur du souterrain de la Traversette – photo : envie de Queyras

Poursuivons donc la fin de la randonnée, et nous allons arriver au sommet dont l’altitude est de 2947 mètres. Les derniers mètres, bien que pentus, se gravissent sans difficultés pour les bipèdes que nous sommes.

DSC_8565

Du haut du col, nous disposons d’une vue plongeante sur l’Italie. Même si souvent dans nos périples, elle est recouverte d’une masse nuageuse. Ce que nous pouvons y constater, c’est que le sentier de descente vers l’Italie est très escarpée, deux individus ne s’y croisent que si le “descendant” s’aplatit contre la parois afin de laisser passer le “montant” au bord d’un précipice vertigineux. Visiblement, il n’y a pas de place pour un éléphant.

1987 tangente et environs 0051987 : la pause au col.

Les chercheurs anglo-canadiens maintiennent leur théorie fantaisiste, et estiment que des fouilles plus approfondies et méthodiques permettront de découvrir des pièces de monnaie et des restes d’armement.

La traversée des Alpes par les éléphants est depuis longtemps mythique. Elle est souvent traitée par  la peinture dès le 16e siècle. La toile ci-dessous, dont je ne trouve pas le nom de l’auteur, a le mérite de traduire ce que Je pense de l’hypothèse de la Traversette si elle avait été tentée :

illustration-hannibal-traversant-alpes

 Plus dure sera la chute !

5 réflexions sur “Les Elephants d’Hannibal

  1. Bonne thématique d’accroche pour raviver nos souvenirs montagnards d’enfance. Il est vrai que nous sommes passés et repassés devant ce rocher d’Hannibal. La Traversette est aussi une balade mythique : nous avions du traverser de sacrés pierriers. On les redescendait parfois en courant parce qu’on était jeunes ! Et puis cette mer de nuages à l’arrivée, c’était fantastique.
    De la montagne, il ne reste plus que des souvenirs et des envies d’y retourner, alimentées par la jolie série de France 2 “Alex Hugo”, théâtre de nombreux drames imaginaires, dans une montagne tout aussi imaginaire, mais dont les lieux de tournage sont bien réels, bien qu’il me soit impossible de les identifier. Je regardais le générique du dernier épisode et j’y voyais des noms qui me faisaient envie : Le Monetier les Bains, Briançon, Arvieux, Névache… on est entre Écrins et Queyras. Dans la série, les flics de Marseille débarquent à tout bout de champ. J’ai regardé l’itinéraire depuis Marseille jusqu’à Briançon en voiture, il faut au minimum 3 heures. Pour aller à Gap, c’est déjà plus plausible : 1h45. Selon les épisodes, les lieux de tournage changent. On ne reconnait jamais rien. Mais on admire la montagne libre et déserte, assez différente des Alpes l’été en vacances, désormais très touristique : on se bouscule sur les chemins. Je pense que pour retrouver nos sensations d’antan, il faudrait y aller hors-saison.

  2. Effectivement gros boulot …. Comme d’hab ! Il est vrai que les photos étaient plus comptées que maintenant. Mais je m’endors moins devant l’ordinateur que durant les séances de diapositives dont mes frères bien-aimés m’ont fait profiter. Je ne dois pas être bon public .

  3. Moi je préfère l’histoire du rocher d’Hannibal au col Agnel car je suis montée dessus. Bon d’accord, je ne suis pas un éléphant (taisez-vous les mauvaises langues !), mais je trouvais cette histoire plus romantique. Pour ce qui est de la Traversette, je crois qu’aujourd’hui avec mon popotin conséquent et mon vertige rampant, je ne pourrais plus y monter, même si on me promettait un marchand de glaces à l’arrivée au sommet ;o) Mais peut-être qu’on nous a menti et que les éléphants d’Hannibal étaient nains…

  4. Gros travail d’archiviste, 15 ans de diapositives (kodac 21 ASA, développement compris) ça c’était de la photo, on ne mitraillait pas à tout va, 36 poses devaient durer 2, 3 jours. Le résultat arrivait par la poste 15 jours après. Si c’était raté, on n’y retournait pas. Les oreilles de lapins coûtaient un bras à cette époque.

Laisser un commentaire