La mort d’un troubadour

Je n’ai rien publié pour la mort d’Higelin, mais là, Graeme Allwright, qui nous a quitté le 16 février dernier, je me suis dit que je pouvais écrire quelque chose sur lui, parce qu’avec Higelin, ce sont vraiment les deux artistes/chanteurs/musiciens qui ont bercé ma jeunesse. Je m’en souviens particulièrement et je suis attristé par sa disparition, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord parce que c’est un artiste que j’aimais énormément, et dont l’écoute des chansons me fait toujours beaucoup d’effet, comme une étrange musicalité apaisante et calme, un havre de paix. Et en effet les paroles de ses chansons étaient tout le contraire de belliqueuses, et pourtant elles contenaient parfois des critiques à l’encontre de notre société (Petites Boîtes, Qu’as-tu appris à l’école ?). Héritier des années 70, Graeme Allwright a repris beaucoup de titres de la musique folk anglo-saxone de cette époque, et notamment celles de Leonard Cohen, avec un style parfois proche de la country américaine. Son univers est empreint d’une certaine spiritualité caractéristique des années 70. C’est grâce à Graeme Allwright que pour ma part j’ai découvert cette musique là, avec des paroles en français. C’est peut-être pourquoi je préférerai toujours écouter Suzanne par Graeme Allwright que par Cohen lui-même. Quand on est français, on a une culture bien à soi. Graeme Allwright était d’origine néo-zélandaise mais il était français d’adoption. Il a participé activement à enrichir la culture française par son œuvre.

Graeme Allright Quimper 2012

Graeme Allwright au Festival de Cornouailles à Quimper en 2012

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Fête à Moffans en 1972

Le dimanche 21 mai 1972 était celui de la Pentecôte, donc un week-end à rallonge de 3 jours.

Guy Zakarian avait envie de visiter Moffans, ce qui nous convenait parfaitement, Brigitte, Yvonne et moi. Dès lors, munis d’un trousseau de clefs ad hoc, et de frêles bagages à mains, nous entreprîmes la route dans la Fiat blanche de Guy Zakarian.

Le ciel était clair, l’autoroute du sud d’alors jusqu’à Pouilly en Auxois étant vite franchie, nous prîmes la direction de Vesoul via Gray. Toutes les heures, la radio nous informait des prodigieux résultats de la greffe cardiaque du docteur Barnard,  tant et si bien qu’on ne supportait plus l’évocation de son simple patronyme au point du jour.

Au soleil levant, vers 5 heures, nous eûmes le clocher de Moffans en visuel.

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« Mon » 10 mai 1968

C’était un vendredi matin comme un autre, maussade. La pendule de l’entrée, toujours exacte, marquait 8h15. J’ajustais devant la glace mon nœud de cravate, j’aplatissais quelques mèches rebelles de ma toute naissante coupe Bob Dylan (version acoustique) pour sortir regagner mon bureau de la rue Guillaume Tell.

Sombre bureau dans lequel s’entassaient une quarantaine de bonshommes. Dès le matin, la fumée des cigarettes envahissait la vaste pièce. Chacun avait sa clope au bec. C’était la seule chose autorisée par le magnanime patron. La discussion n’était pas encouragée, exception faite lorsque les filles du bureau voisin grimpaient à l’échelle à la recherche de quelques archives en haut des étagères ; alors, les propos grivois entrecoupés de rires gras ne souffraient pas de réprimandes du chef perché sur son estrade. Nous n’avions que deux calculatrices à manivelles à se partager, cela aussi faisait débat, parfois houleux, mais toléré. Tête dans les dossiers, bouche bée. Soumis, silencieux.

J’attaquais donc les dernières heures des 48 à fournir pour la semaine, avec un sourire intérieur :

Ce soir à la mutualité, il y aurait le gala du Monde Libertaire. Léo Ferré interprèterait son récital en fin de spectacle. Après celui-ci, quelques habitués attendraient que la salle se vide. Léo reviendrait alors sur scène, se poserait sur le siège devant le piano, et nous nous regrouperions autour de lui pour échanger, comme nous le faisions depuis quelques années. Moment de convivialité rare et intense.

1966-67 Leo gala FA1967 Gala F.A. photo Guy Zakarian

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André Fleury : son histoire dans l’Histoire 3

André l’africain

Nous voici donc le 2 septembre 1940. Évadé du stalag d’Orléans le 25 août, il lui a fallu peu de temps pour rejoindre Aix en Provence. Le R.I.C.M. le démobilise : ce régiment est dissous. Il n’y était que réserviste.

Les derniers mois qu’il y a vécu ont été rudes. Des combats violents, ses frères d’armes tués à ses côtés, la retraite humiliante et continue puis, finalement, la captivité et ses privations. Nous ignorons les conditions de son évasion, mais celle-ci démontre qu’il a gardé de l’énergie, de la maitrise et de la concentration.

Son “statut” d’évadé ne lui permet pas de rejoindre sa famille, laquelle risque des représailles de la part des autorités d’occupation. Démobilisé, il voit sa “famille militaire” s’évanouir à son tour. On peut penser que psychologiquement il est déstabilisé. Toutefois, sa fréquente présence dans la région d’Aix-Marseille, nous invite à imaginer qu’il y avait créé des relations amicales et aussi, très probablement, intimes.

Sa vie civile s’achève le 21 octobre 1941. Il s’engage dans la Légion étrangère sous le pseudonyme de Van de Vald, né à Lagoyen en Belgique. Il est affecté à l’intendance générale militaire. Il est incorporé au D.C.R.E. (dépôt commun des régiments étrangers) le 14 décembre 1941. Il est dirigé sur Oujda (Maroc) où il arrive le 16 février 1942.CPA-Maroc-OUDJA-Entrée-principale-de-la - Copie

 

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Christopher Lee : du sang et des armes

En 1986, dans le bureau de la rue Hippolyte Lebas, nous avions lancé le mensuel Raids consacré aux forces armées et plus particulièrement aux troupes d’élites. Un titre qui, évidemment, connaîtra son apogée lors de la Guerre du Golfe.
Dans les premiers numéros, nous avions publié une série de “Raids fictions” dont un consacré à la libération de nos otages au Liban, qui nous avait valu des menaces de mort dans la presse du Hezbollah. Dès lors, nous avions pris l’habitude de travailler en fermant les volets métalliques des fenêtres donnant sur la rue.
Un soir d’octobre, je reçus un appel téléphonique. Mon interlocuteur, qui avait une voix sonore et caverneuse, voulait souscrire un abonnement. Je lui demandai donc son nom et son adresse et il me répondit dans un français impeccable :
– Je m’appelle Christopher Lee, j’habite Londres
– Etes-vous le célèbre acteur ?
– Je suis acteur, mais c’est en qualité d’ancien SAS que je souhaite m’abonner, et peut-être vous rencontrer car je suis collectionneur d’insignes et de couteaux de combat des troupes d’élite.
– Je dois me rendre à Londres le mois prochain, pourrions-nous faire connaissance, et éventuellement procéder à une interview ?
– Avec plaisir…

Je dois dire que je connaissais essentiellement cet acteur dans le rôle de Dracula et quelques autres dans les films si particuliers de la Hammer, petite compagnie spécialisée dans les films dits d’horreur. Nous étions, mes copains et moi, très friands de ce genre cinématographique dans notre jeunesse. Il y avait une salle spécialisée près de la place Clichy. Nous pouvions y visionner les Dracula, Frankenstein, Le chien des Baskerville et autres films produits par cette compagnie… Roland m’avait accompagné quelquefois, mais il préférait les comiques comme Jerry Lewis.

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Marthe est morte

Il ne fait pas bien chaud ce 31 octobre 1944, et l’hiver sera rude. Marthe Morel, dans le village de Faymont, a allumé sa cuisinière à bois. Pour se réchauffer bien sûr, mais aussi pour cuisiner…

Marthe Morel est la sœur de l’Angéline, la grand-mère de notre fratrie Jobert. Les Morel à Faymont, il y en a depuis bien longtemps, les archives qui pour l’instant remontent jusqu’au 16e siècle en comptent un certain nombre, y compris de nos jours. Le nom de Morel viendrait d’une couleur de peau plutôt sombre, un sobriquet de maure.

carte d'identité Morel Marthe

carte d'identité verso Morel Marthe

permis de circuler de Marthe Morel début années 40

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Du grand père au Grand Maitre

Au Pré Besson, Popaul dispose d’un livre consacré au Tram, le tramway intra départemental que nous appelions “le Taco”. Plongez vous dans sa lecture, on y trouve tout, les lignes, les gares, le matériel, les horaires et l’iconographie est superbe.
Ce tram a laissé son emprunte nostalgique dans le paysage. Ainsi à Moffans, on peut encore voir la gare et ce que fut la voie : elle empruntait le chemin de la Corne puis passait rue Viney devant chez les Gardent, en allant vers La Vergenne par un chemin vicinal sous le champ des haricots des grands parents.
A Héricourt, le” chemin du tramway”(qui porte encore ce nom) longeait la Lizaine découvrant sur sur la rive opposée, Chevret et l’usine de tissage où officièrent plusieurs de nos ainés (Gustave Vienot, Louis Fleury, Paul et Netty Graff), les cités Chevret, Saint Valbert et les cités Noblot. la gare se trouvait près du bâtiment qui hébergeait le cinéma. Celle de Moffans fut longtemps reconvertie en distillerie municipale, et celle d’Héricourt abrita les scouts laïques après avoir aussi été distillerie.

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Le maillage du réseau était extrêmement dense, il fallait irriguer le maximum de villages d’une sous préfecture à une autre. Ainsi, de Lure à Héricourt, il cheminait de tours en contours si bien que l’amplitude du trajet entre les deux villes était de quatre heures : Saint Georges, Grange le Bourg, Saulnot, Champey et Couthenans etc. A vélo avec Roland, nous mettions 1 h 15 entre ces deux villes, mais nous prenions au plus court, par les bois de Vaux. Lire la suite

LE BREXIT : issue logique pour un cul de sac – Partie 3 : Depuis 1971

En 1971 l’Angleterre rentre dans la CEE

En 1974, les travaillistes d’Harold Wilson reviennent au pouvoir après une campagne s’opposant à l’adhésion à la CEE. Ils demandent à renégocier les conditions d’adhésion anglaise et organisent un référendum en juin 1975 sur l’appartenance européenne. Ils obtiennent une réduction de la participation financière, un accord sur le lait néo-zélandais et le sucre du Commonwealth. A la question : “Voulez-vous que le Royaume Uni reste dans le marché commun ?“, 67% des Anglais votent oui.

En 1984, arrive le fameux “I want my money back” de Margaret Thatcher, qui s’opposera aussi à toute idée fédéraliste : “l’Europe doit être une zone de libre échange et de concurrence loyale“.

L’engagement anglais dans l’Europe aura essentiellement consisté à s’opposer à toutes les tentatives fédéralistes, à toute supranationalité européenne.

En 1988, elle refuse que l’Europe dispose de ressources propres.

En 1992, elle refuse la monnaie unique. Elle obtient l’exemption des clauses sociales et du passage à l’Euro prévu par le traité de Maastricht.

En 1994, John Major pose son véto à la désignation du belge Dehaene à la direction de la commission européenne, jugé trop fédéraliste. Tout comme Tony Blair refusera Guy Verhofstadt et David Cameron s’oppose à Juncker. Lire la suite

LE BREXIT : issue logique pour un cul de sac – Partie 2 : les années 60

“si nous ne pouvons pas les battre, rejoignons-les”

En 1961 donc, Mac Milan, Premier ministre anglais, s’engage dans une longue et difficile négociation avec De Gaulle pour résoudre les problèmes liés à l’ adhésion britannique au Marché Commun : En particulier, les problèmes agricoles entre la CEE et le Commonwealth. Les prix agricoles des produits des anciennes colonies anglaises sont en effet moins élevés pour les Anglais que ceux pratiqués au sein de l’Europe des 6, à ce moment-là. Ces négociations dureront 18 mois, avec deux entrevues entre l’Anglais et le Français qui se connaissent bien et conviennent que chaque pays a sa culture et ses traditions nationales, et que tout cela favorise le rapprochement des nations avec leurs spécificités propres. Mais dans la réunion suivante des deux hommes à Rambouillet, cette convivialité n’est plus de mise. De Gaulle considère en effet que l’entrée de l’Angleterre est très prématurée. Alain Peyrefitte raconte avec humour que, de Gaulle ayant décidé de ne rien céder à l’Angleterre, Mac Milan avait une mine tellement désabusée qu’il avait envie de lui mettre la main sur l’épaule et de lui chanter :” Ne pleurez pas Milord”.
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LE BREXIT: Issue logique pour un cul de sac – partie 1 : les années 50

En juin prochain, les Anglais devront se prononcer quant à l’Europe : y resteront-ils, ou le piège démagogique que s’est lui même tendu le Premier ministre Cameron se refermera-t-il sur lui ?

Les conséquences d’un brexit, celles concernant l’Union Européenne, celles concernant l’Angleterre (y compris l’éclatement possible du Royaume Uni), celles concernant les résidents anglais en France, celles concernant les résidents français en Angleterre ne seront pas abordées ici, mais éventuellement dans le débat qui pourrait en découler. Je m’en tiendrai donc à un historique simplifié des rapports de l’Angleterre avec l’Union Européenne.

Préalablement à ce rappel de l’histoire des relations entre le Royaume Uni et l’Europe, j’aimerais vous dire que je ne suis pas anglophobe, j’ai beaucoup d’amis anglais, j’ai passé 35 ans de ma carrière avec des confrères d’outre Manche, et j’en garde un excellent souvenir d’autant que nous vécûmes ensemble avec joie la disparition de certaines frontières continentales et l’arrivée d’une monnaie commune pour les pays dans lesquels nous agissions côte à côte. Ils  aimaient, pour décrire l’attitude de leurs concitoyens, utiliser cette formule savoureuse :

Brouillard sur la Manche, le continent est isolé. Lire la suite