Mythomanie et mégalomanie : le fou HALLIER

La presse nous rappelle que, voici 20 ans, décédait Jean Edern Hallier, à l’occasion de la parution de deux ouvrages : une biographie par un journaliste du Parisien, et un ouvrage historique consacré à La place des Vosges où cet agitateur mégalomane résida. Il est mort d’une crise cardiaque sur une plage de Deauville lors d’une ballade à bicyclette. Aussitôt, les zélateurs complotistes hurlèrent à l’attentat : “Le dernier mort de Mitterrand” ! L’ancien président décédé 1 an plus tôt, aurait donc fait intervenir les forces de l’esprit.

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L’écrivain Jean Edern Hallier se fit connaître en 1962 lors de la création avec Philippe Sollers de la revue Tel quel dont il fut exclu deux ans plus tard. Il publia quelques romans, et dans la mouvance post soixante-huitarde, lança en 1970 le magazine  l’Idiot International avec le soutien de Simone de Beauvoir qui s’en éloignera très rapidement. C’était une sorte de Minute d’extrême gauche.

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Après une longue disparition des kiosques et une ardoise de 15 millions de francs, ce journal reparut en 1989 avec le financement du Parti Communiste. Cette nouvelle version publie des auteurs d’extrême droite (Soral, Collard, De Benoit), il mélange alors le rouge PC et le brun Front national.

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Le rebelle : En juin 1968, il avait décidé d’aller soutenir les ouvriers de Renault Flins au volant de sa Ferrari. Contrôlé par un barrage de gendarmerie, il n’eut aucun mal à les convaincre qu’il allait à Deauville. C’est d’ailleurs ce qu’il fit, avec courage et détermination.

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Le révolutionnaire bouffon se fait connaître aussi en dilapidant les fonds, récoltés par Régis Debray au profit de la résistance chilienne, dans des hôtels de luxe en Amérique latine d’où il téléphonait sans aucune précaution aux chefs clandestins de la résistance. Plus tard, il commanditera un attentat contre le domicile de Régis Debray.

Il organisera l’anti Goncourt, remettant un chèque de 50 000 francs à François Coupry, auteur des éditions Hallier, chèque bien entendu sans provision. Les statuts juridiques des éditions Hallier étaient une copie conforme des éditions Téma, comme il me l’avoua lui même, au festival du livre de Nice, où nous nous étions rendus avec Yvonne pour assister à l’émission Apostrophes.

Il faut ajouter aux péripéties de ce clown mythomane son faux enlèvement en 1982 par les Brigades révolutionnaires françaises dans le but d’accuser Mitterrand de vouloir lui nuire.

Le Voltaire des garçons coiffeurs (comme il se définissait lui-même) était un homme capable de toutes les affabulations. Entre autres exemples : en 1996, il prétendit avoir retrouvé la vue lors d’un pèlerinage à Lourdes. Imposteur à tel point qu’apprenant sa mort, Jean d’Ormesson s’interrogeait pour savoir si c’était vrai.

Enfin, on se rappellera avec délice le bourre pif que lui administra Français Chalais, à la tribune de la journée de l’écrivain en 1983 : tout comme dans l’émission de Bernard Pivot, sa tactique consistait plus dans la démolition d’un autre auteur présent que dans la présentation de son propre  titre.

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La malédiction de Mitterrand

Le candidat à la présidence de la République avait été violemment rejeté par la jeunesse de 1968, alors qu’il tentait de récupérer le mouvement à son profit. C’était l’homme du passé. Il chercha donc une “caution morale” soixante-huitarde au début de la décennie 1970. Jean Edern avait eu un certain succès littéraire : aussi le nouveau leader socialiste qui aimait à fréquenter les milieux de l’édition déclara t-il que J.E. Hallier était le meilleur écrivain de sa génération. Une relation s’ensuivit. Mal lui en avait pris.

Car on ne s’accoquine pas sans risques avec le bouffon borgne de la Closerie des Lilas. Officiellement, il soutint Mitterrand contre Giscard, publiant en particulier Lettre ouverte au colin froid (1979) qu’il présentait comme un outrage au président de la République. Mitterrand élu, l’histrion attendait un poste important en récompense des services rendus. La culture ira à Jack Lang (qui le fera condamner plus tard pour dénonciation calomnieuse et diffamation). Alors, il revendiquera la présidence d’une grande chaine de TV. Il n’obtiendra en fait que le remboursement de la somme de 70 000 francs par le parti socialiste, pour “ses frais de campagne”.

Sa haine contre le nouveau président ira croissant. Dans une chronique du Quotidien de Paris il révèle le cancer dont souffrait le nouveau locataire de l’Elysée. Probablement informé par le sulfureux capitaine Barril du G.I.G.N., le responsable de la cellule anti terroriste de l’Elysée, il menace de révéler au public la double vie de Mitterrand et l’existence de Mazarine Pingeot. C’est ainsi qu’une vaste opération d’écoutes téléphoniques va être déclenchée visant les journalistes et les milieux culturels parisiens. Barril va négocier le silence du maitre chanteur contre l’annulation d’une dette fiscale de 300 000 francs. Après des années de guérilla, de gesticulations, de rodomontades, de reculades, de pressions et intimidations contradictoires, le pamphlet L’honneur perdu de François Mitterrand sera publié… deux mois après la mort du président en 1996.

Le rassemblement des “éditeurs de gauche”

Nous sommes en mai ou juin 1975. Je venais de publier un livre au titre ambigu : Les femmes de Giscard  pour lequel je fis l’objet d’une condamnation en diffamation après un référé d’heure à heure à la demande de Solange Troisier, alors Inspecteur général de l’administration pénitentiaire.

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Cette “distinction” me valut un appel téléphonique de J.E. Hallier, lequel me convia à un déjeuner avec quelques confrères, afin de bâtir un rassemblement des éditeurs de gauche.

Nous nous retrouvâmes donc à six ou sept éditeurs, rue des Ecoles, au restaurant le Balzar. Parmi les participants, je ne me souviens que du couple que formaient Pierre Jean et Hélène Oswald, des gens sympathiques qui s’interrogeaient sur la raison pour laquelle ils se trouvaient là. C’étaient des éditeurs de littérature policière, étrangère et de poésie.

Le président de séance, l’incertain Jean Edern commença par un petit discours de bienvenue, puis enchaîna à la surprise générale : “être de gauche, c’est être giscardien”. Stupeur générale, suivie d’un silence gêné.

Le farfelu enchainait quelques arguments fallacieux sous nos regards ahuris, lorsque Mitterrand sortit de l’arrière salle. Jean Edern se dressa, courut derrière le candidat en l’interpellant : François ! François !

Morts de rire, nous avons fini notre déjeuner tranquillement, l’histrion ambigu ne réapparut pas.

La honte ?

La Joie de lire

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L’éditeur François Maspero avait fondé la librairie “La joie de lire” rue Saint Séverin en 1957 ; c’était à l’origine un lieu de rencontre des opposants à la guerre d’Algérie. La librairie fut plastiquée à différentes reprises par l’OAS et l’extrême droite. Outre les littératures, son catalogue s’étendait à tout ce qui était révolutionnaire et tiers mondisme. Après 1968, son succès fut amplifié par l’arrivée de nouveaux militants issus des “évènements”. Succès qui conduisit la librairie à sa perte, puisque le “vol révolutionnaire” dans ses rayons était devenu le dernier cri de la mode gauchiste. Sous le regard impassible du personnel, chacun pouvait sortir sans payer du magasin avec une pile d’ouvrages sous le bras.

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En 1976, le dépôt de bilan était inévitable. La confédération des coopératives de production, dont j’étais membre, me mandatait alors à fin de proposer au personnel la reprise de la librairie sous forme coopérative, la confédération apportant le financement. Un autre candidat à la reprise se présentait également : le trublion escroc Jean Edern Hallier. Il m’avait préparé un accueil difficile. Les syndicats C.G.T. et C.F.D.T. me firent savoir à la fin de mon exposé qu’ils n’étaient pas favorables au fait de s’exploiter eux-mêmes. Echec donc pour moi, victoire pour le concurrent.

Moins d’un an après, le fonds de commerce était vendu et se transformait en une pizzeria supplémentaire dans ce quartier qui n’en manquait déjà pas.

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Dire que la mort de Jean Edern me laissa indifférent est un euphémisme.

L’histoire qui se raconta alors était assez drôle : Jean Edern est le seul Hallier à être mort sur les plages normandes 50 ans après le débarquement.

2 réflexions sur “Mythomanie et mégalomanie : le fou HALLIER

  1. J’avais entendu l’anectode que chaque année mitterandienne il renvoyait sa feuille d’impôt à l’Elysée en écrivant en travers : ” je ne paierai pas mes impôts alors qu le président entretien aux frais de l’état sa maîtresse et sa fille dans ales immeubles de la république. Et comme Yves l’a écrit ça a marché.

  2. J’ai retrouvé dans cet article une présentation assez amusante du personnage, compilation d’histoires que j’avais déjà pour certaines entendues (oralement), et j’ai ri, à quelques endroits. Je connaissais bien sûr le personnage, notamment grâce à la télé où on pouvait le voir faire son intéressant à longueur d’émissions, dont certaines présentées par lui-même.
    C’est dans sa bio “wikipédia” que j’ai trouvé cette phrase qui démontre, malgré certaines qualités, le côté grotesque du personnage : « En 1975, il aurait déjà commandité un mini-attentat chez Françoise Mallet-Joris, juré Goncourt, afin de protester contre les magouilles des prix littéraires : la seule conséquence de ce geste fut un feu de paillasson. ».
    A le revoir en photo, c’est un homme qui ne souriait jamais. Sa moue perpétuellement déconfite me fait penser à celle du triste sire Robert Ménard, maire de Béziers, même si je ne suis pas sûr que Hallier mérite cette comparaison… mais il y avait chez lui une connivence avec les idées d’extrême-droite qu’on ne peut ignorer.

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