André Fleury : Son histoire dans l’Histoire 2

HORIZONS LOINTAINS & FRONTIERES PROCHES

Notre oncle André Fleury est né le 7 janvier 1914 à Hérimoncourt.

Il exerce la profession de domestique meunier à Sancey le grand, au lieu dit “Moulin de Voitre” dans le canton de Clerval.

Le 13 septembre 1934, il est engagé volontaire pour une période de 5 ans et affecté au 6ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais. Lorsque notre oncle arrive au Maroc, la dernière guerre de pacification, dite de l’Anti Atlas, est terminée depuis 6 mois.  Nous ne savons rien de l’activité du 6ème RTS à ce moment là, sinon qu’il était cantonné à Ouarzazat et à Casablanca.

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On peut s’interroger sur les raisons de l’incorporation de notre oncle au sein des Tirailleurs Sénégalais. En effet, les hommes de race blanche au sein de tirailleurs sont normalement des officiers. Nous pouvons formuler l’hypothèse de pertes importantes pendant les révoltes sud marocaines, donc le besoin de renforcer les effectifs.

La “force noire” créée par Faidherbe en 1857 est constituée d’africains recrutés dans l’ensemble de l’A.O.F., en général . Il  s’agit d’anciens esclaves rachetés à leurs maitres locaux. Les blancs sont officiers et les sous-officiers proviennent de l’aristocratie locale. Même Jean Jaurès, dans son ouvrage “l’Armée nouvelle” soutient  la création de cette “force noire” pour compenser le déficit démographique métropolitain.  En 14-18 ils seront 200 000 à servir dans les rangs français. Ils laisseront environ 30 000 victimes.  En 1940, Les prisonniers noirs seront victimes de massacres racistes de la part des allemands. En 1944, ils seront les principaux acteurs de la libération de Fréjus. Pendant les combats de la libération du territoire, y compris dans la trouée de Belfort, le 6ème RTS sera commandé par un certain colonel Raoul Salan. Après cette guerre, la France se montrera bien ingrate à leur égard (euphémisme).

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Le 5 novembre 1936, toujours au Maroc, il est affecté au Bataillon Autonome d’Infanterie Coloniale du Maroc.

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Le 30 octobre 1937, et il est rapatrié de Casablanca au titre du Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc (R.I.C.M.), il débarque à Marseille le 2 novembre 1937.insigne-troupes-coloniales-ricm-1940.jpg

Le R.I.C.M. est le régiment le plus décoré de France. Après plusieurs années d’occupation en Allemagne, il est appelé au Maroc, dans le Rif, par le Maréchal Lyautey. Pendant la campagne de France de 1940, il perd les 2/3 de ses effectifs, il est dissous après l’armistice. Reformé à Rabat, il devient en 1943 Régiment Blindé de Reconnaissance de la 9ème div. d’infanterie coloniale, il prendra Toulon, puis Mulhouse en 1944 et sera à Constance lors de la capitulation allemande. Il s’appelle depuis 1958 Régiment Infanterie Chars de Marine. Marine vient d’outre mer, ancien régiment de la “coloniale”.

Affecté à ce régiment, André est alors mis en congé de fin de camp, du 3 novembre 1937 au 25 mars 1938. On peut imaginer qu’une partie de ce congé sera consacré à visiter sa famille à Chagey, et j’imagine que cette photo dans le jardin potager des Angel, où il pose en uniforme du R.I.C.M. devant la serre, date de cette époque :

Mon Pére et André

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André du R.I.C.M. et Gustave en uniforme du 11e chasseur de Vesoul

Sur cette photo, l’oncle André semble plutôt détendu et souriant, heureux de se retrouver en famille. Ce qui ne nous empêche pas de réfléchir à la raison de cet engagement, non seulement dans l’armée, mais encore sur un choix (imposé ou non) de l’outre mer. Était-ce une envie de voyages lointains, où comme un de ses frères le laissait entendre, la conséquence de rapports difficiles avec le père Fleury, homme dur au labeur, pratiquant catholique scrupuleux, austère, comme bien des travailleurs de la terre en cette époque.

C’est probablement au cours de la même séance photo, dans le même décor, qu’on découvre la famille Fleury dans sa totalité, complétée de Gustave, près de Bobette, sa futur femme, et d’Yvonne Brogiat (alors “fiancée” de Louis) :

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1er rang : Tati Brigitte  et Madeleine -2e rang : Gustave, Cécile, Henri, Paulette -3e rang : Maman Marie, Henri (Paply) Louis et sa copine, Berthe.

De retour au corps, il est désigné le 21 avril 1938 pour faire partie du régiment muletier devant participer aux travaux des Alpes, et est donc affecté au 76ème B.A.F. (Bataillon Alpin de Forteresse). Il s’agit de construire un ultime tronçon de la ligne Maginot, dans le secteur fortifié des Alpes Maritimes. Ici à Sainte Agnès :

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En 1927, Mussolini réclamait dans un discours le rattachement de Nice, de la Savoie et de la Corse. Il multipliait depuis les incidents de frontière. Le 10 juin 1940, alors que l’armée française est terrassée par la Wehrmacht, se produit la première offensive italienne. Toutes les attaques italiennes jusqu’au 20 juin seront repoussées victorieusement par les troupes alpines.

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1938 Prise d’armes en rangs serrés du R.I.C.M à Aix

Le premier novembre 1938, il rejoint le R.I.C.M. Il y sert sur sa demande en qualité de réserviste à compter du 9 septembre 1939, puisque son contrat d’engagement est arrivé à son terme.

 

1940 – LA BATAILLE DE FRANCE

Les historiens du R.I.C.M. sont assez discrets sur le positionnement de ce régiment pendant la bataille de France. (Evidemment, ils seront plus élogieux sur son rôle important lors de la libération du territoire, mais là, nous sommes hors sujet). C’est à travers les témoignages d’anciens combattants ayant survécu que nous pouvons recomposer les champs de bataille de l’oncle André.

” Après avoir combattu pendant l’hiver en Alsace puis avoir été placé en réserve dans les Alpes, il (le R.I.C.M.) est engagé dans un combat désespéré sur la Seine, de la Loire à la Dordogne et sur les routes de la retraite. Une fois de plus, fidèle à ses traditions, il sauvera l’honneur aux prix de lourdes pertes dans l’exécution de missions de défense sans espoir à VILLIERS, CHATEAUNEUF-EN-THYMERAIS, AMBOISE, LA HAYE-DESCARTES “.

Le 14 décembre 1939, le R.I.C.M. est sur le front Alsace. Nous savons qu’avec le 4ème D.I.C (Division d’Infanterie Coloniale – composée de réservistes), ils vont relever  les 16ème  et 24ème  R.T.S. (Tirailleurs Sénégalais) sur les positions tenues : Weellenheim, Hartgheim et Avolsheim, en avril et mai 1940.

Puis le positionnement change :

Le 14 juin 1940, combats sur l’Eure – Anet,

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Les témoignages de combattants du R.I.C.M. dans ces zones d’affrontement sont malheureusement trop semblables à tous les secteurs de combat durant la bataille de France. Des hommes courageux armés de fusils, regroupés à proximité d’un fusil mitrailleur, s’opposent à un adversaire mieux armé et se font pulvériser par des pièces d’artillerie. Rien que durant les combats d’Amboise, le R.I.C.M. comptera 600 tués, disparus ou blessés.

Combat du R.I.C.M. à la touche en Eure et Loir 16 juin 1940 : Témoignage du lieutenant Beauregard

“Vers midi, l’adjudant-chef Cassegrain, qui avait perdu 4 hommes, recevait du capitaine Vittet l’ordre de se replier sur lui. Il perdrait encore un homme pendant ce mouvement et recevrait l’ordre de s’installer sur la route de Villette, immédiatement au sud de La Touche. Il est vraisemblable de penser qu’en donnant cet ordre, le capitaine Vittet visait à préparer un décrochage éventuel que ses pressants compte-rendus au chef de bataillon suggéraient, mais il devait en réponse se voir réitérer l’ordre formel de tenir, qu’il exécute jusqu’au bout. (…)

(…) 16h30, le bombardement reprend avec une violence inouïe, pulvérisant ce qui reste de maisons, causant de grosses pertes. Dans la partie droite du P.A. de la 2ème section, un obus tombe dans une caisse de munitions qui venait d’être ouverte, déterminant une explosion terrible. Le caporal Clemente est tué, ainsi que le 2ème classe Lauzias ; le caporal Roulet reçoit l’éboulement d’un mur sur le dos et est fortement commotionné, d’autres encore restent dans les décombres qui ne peuvent être identifiés. Depuis 14 heures, un canon faisant du tir à vue directe, 77 ou 105, nous tire dessus de plein fouet à 1000 mètres. A peine voit-on le départ du coup que le projectile a traversé les murs. L’effet moral est terrible ; la trajectoire est si tendue que les obus passent au ras du sol, la vitesse initiale est si grande qu’on n’a pas le temps de s’aplatir”.

Le 16 juin 1940 : combats de Châteauneuf et Saint-Sauveur.

Le 17 juin, discours du maréchal Pétain : “C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités”.

18 juin 1940 : combats sur la Loire à Amboise.

Le 18 juin 1940, appel du général de Gaulle : “Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.(…) Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas”.

Le 19 juin 1940, André Fleury est fait prisonnier, probablement, vu la date, lors de la bataille d’Amboise et de la retraite qui s’ensuivit. On trouve son nom sur le registre des prisonniers détenus au Frontstalag 153 à Orléans :

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Le 25 août 1940, il s’évade du stalag.

Il enverra à la famille un discret signe de vie : un petit bristol facilement identifiable (malheureusement disparu), mais suffisamment insignifiant pour ne pouvoir justifier de représailles envers la famille de l’évadé.

Il rejoint le régiment et sera finalement démobilisé le 2 septembre 1940, probablement à Aix en Provence, en zone alors encore libre, et le R.I.C.M. est dissous.

Andre legionnaire1946 A suivre : André l’africain

5 réflexions sur “André Fleury : Son histoire dans l’Histoire 2

  1. Alan pose une question intéressante :
    Lors de la colonisation du Maroc, et ce n’a pas toujours été le cas, l’emblème du drapeau marocain est une étoile à 6 branches sur fonds rouge. Cette étoile s’appelle l’étoile de David pour les juifs, et sceau de Salomon pour les musulmans. On sait que les 3 religions monothéistes ont des prophètes communs.
    Le R.I.C.M.adopte donc le symbole marocain.
    L’antisémitisme est alors une phénomène européen et ce,depuis le moyen âge. Dans le monde arabe, la communauté juive est tolérée et intégrée sans problème. Le problème juif n’apparait qu’avec les débuts de la colonisation palestinienne, les nazis y participent activement.
    C’est sous la pression des autorités coloniales françaises que le drapeau marocain arborera l’étoile à 5 branches, vers 1910. Le R.I.C.M. ne changera son symbole que beaucoup plus tard pour en revenir à 5 branches.

  2. Bravo pour cet article et pour toute la recherche qui y est associée.
    A sa lecture, il m’inspire les commentaires suivants :
    1) Sur l’insigne du RICM, on distingue en son centre une étoile de David, à six branches. Je me suis demandé ce que faisait sur cet insigne, certes colonial, mais lié à l’armée française, ce symbole aujourd’hui identifié comme étant représentatif du judaïsme. Il se trouve que l’étoile figurant sur le drapeau marocain actuel ne comporte que 5 branches. Apparemment cette étoile à 5 branches aurait remplacé en 1915 l’étoile de David à 6 branches qui y figurait. Ce symbole était utilisé dans de nombreuses cultures avant d’être associé au judaïsme, fait que j’ignorais.
    2) Sur la photo des Fleury, j’ai trouvé une incroyable ressemblance entre la Tati, enfant, et ma cousine virginie.
    3) Concernant l’offensive allemande de 39-40, le témoignage du Lieutenant Beauregard sur le “Combat du R.I.C.M. à la touche en Eure et Loir 16 juin 1940”, est accablant : l’armée française était vraiment dépassée technologiquement. Mais on le savait déjà grâce aux cours d’histoire. Que va-t-il se passer lorsque le gouvernement aura encore réduit les moyens de notre armée dans les années à venir ? L’histoire se répète. Bien sûr, la guerre ne nous menace pas directement sur notre territoire (le terrorisme, si), mais la situation politique se dégrade partout en Europe, tandis que les extrémismes montent à nouveau de partout.
    Et merci pour le rappel des évènements chronologiques ayant eu lieu au moment de la capitulation. Ils sont particulièrement émouvants, je trouve…

  3. Un petit mot sur les tirailleurs sénégalais, dont nous disons que la patrie ne fut pas très reconnaissante à leur égard..
    En décembre 1944, les tirailleurs demandent que leur soit versés leur solde, promise à différentes reprises. En réponse à leur mutinerie, l’armée française tire dans le tas. Au moins 70 morts.
    Par la suite, ils ne pouvaient faire valoir leur droit à une indemnité que s’ils restaient sur le territoire national. Mais personne ne les a informé de ce droit et de la procédure. On dit même que ceux qui, après l’indépendance de leur pays d’origine, vont rejoindre les armées nationales, ne seront pas autorisés à garder leur uniforme.
    Hollande président fera un geste, une promesse de plus… Ils ne sont pas plus qu’un petit millier de survivants.

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