André Fleury : son histoire dans l’Histoire 6

 RC4 dite LA ROUTE DU SANG

En quoi consistent donc les missions de nos soldats, et donc du 3 e R.E.I. de notre oncle ?

– occuper des positions, genre casemate en bois, petits fortins de fortune, généralement sur des hauteurs dans la jungle, et soumises aux assauts répétés du Viet Minh.

legion a Dong Khe

– Entretenir l’état de la RC4, afin d’assurer le ravitaillement des troupes en armes, matériel et subsistances. Cette route coloniale est sabotée en permanence par le Viet Minh, ce qui empêche la progression des convois qui, de ce fait, tombent dans des embuscades meurtrières. Les hommes de troupes l’ont renommée “la route du sang”.

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Convoi sur la RC4

Extrait des mémoires de la guerre d’Indochine du général Yves Gras :

“ et La RC4 suivait de très près la frontière de Chine… tout le long du parcours, ce n’était que montagnes escarpées, couvertes d’une jungle dense, dénivellations de centaines de mètres, rochers calcaires aux arêtes déchiquetées et aux parois abruptes, torrents qu’on passe à gué. Les rares pistes… étaient de véritables sentiers de chèvres, raides, étroits, glissants à la première pluie… hors des routes et des pistes déjà tracées, il fallait parfois plus d’une heure pour progresser de 300m… La route… serpentait au milieu de hauteurs boisées et inaccessibles en une suite de côtes et de lacets qu’une végétation touffue enserrait comme un couloir…

(…)

Fin 1949, le ravitaillement des postes de Dong Khé et Cao Bang par la RC4 (4m. de large) se fait par « convois opérationnels », occasions pour les viets de tendre des embuscades coûteuses en hommes en matériel. ”

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patrouille RC4

Extrait de Ma guerre d’Indochine du lieutenant- colonel Jaubert : (Il est arrivé en avril 49 à Haïphong),

“ Le lendemain, le Colonel de la Coloniale commandant le secteur, nous réunit pour nous indiquer notre mission : tous les matins, partir sur la RC4 sur une quinzaine de kilomètres, vérifier sur 200 mètres à droite et à gauche de la route qu’il n’y a pas de préparatifs d’embuscade, et rester sur place pour permettre le passage des convois. C’est ce qu’on appelle une “ouverture de route”. Pour faciliter ce travail peu passionnant nous débroussaillons la forêt à grands coups de coupe-coupe afin que les viets ne puissent pas s’y dissimuler. Enfin le Colonel, termine son exposé en nous disant “Faites vachement attention…” ce dernier conseil nous a laissé un arrière goût bizarre.

(…)

Après quelques semaines, entrecoupées de petites opérations dans la région, nous commençons à remonter la RC4 vers LANG SON, où le Bataillon va se regrouper. Nous partirons ensuite en convoi par THAT KE et DONG KHE jusqu’à CAO BANG. Les 130 km de route représentent un long et lent déplacement particulièrement angoissant, car nous traversons toute la zone frontière où les viets lancent des attaques très violentes et très meurtrières contre les convois de camions qui serpentent sur ces routes enserrées entre falaises et forêts.

Le passage le plus délicat est celui du col de LUNG PHAÏ entre THAT KHE et DONG KHE. Un convoi précédent y a laissé 40 camions brûlés et pas mal de tués, les blessés étant achevés au coupe-coupe. Aussi pendant que nous grimpons la côte, chacun scrute les bas côtés de la route, le doigt sur la détente. Après plusieurs attaques qui nous ont coûté cher dans ce secteur, on lancera les camions par “rafales” de 5 véhicules toutes les 10 minutes, pour essayer de limiter les dégâts. Puis les convois seront définitivement supprimés fin Octobre 1949, et ce sera le règne du parachutage.

la montée du col de Lung phai

(…)

Nous effectuons quelques petites opérations d’accoutumance avec le 3ème Régiment Étranger d’Infanterie, qui occupe CAO BANG avec un bataillon, et nous partons pour une mission plus importante. Il faut rejoindre (à pied) BAC KAN à 120 km au sud-ouest, par la RC3 bis pour protéger le repli d’un autre bataillon du 3ème Étranger, dont tous les postes sont installés le long de la route. Tout cet axe est donc abandonné aux viets. ”

Dans un autre témoignage, à propos du chef d’escadron, le commandant Guiollot, responsable des convois sur la RC4, on trouve la phrase suivante qui complète et amplifie le témoignage précédent :

“ Les attaques commencent dès 1947 avec peu de moyens coté vietminh. Mais chaque embuscade réussie permet aux vietnamiens de récupérer des armes françaises. En 1949, le 3 Septembre, un convoi de 133 véhicules est attaqué. 96 véhicules seront détruits avec de nombreux morts.

À la suite d’une visite en Indochine au début de l’année 1949, le général Revers, chef d’état major de l’armée de terre, rédige un rapport qui préconise l’évacuation de Cao Bang et des postes intermédiaires de la RC4 jugés inutiles, exposés, et dont le ravitaillement épuise le corps expéditionnaire.

Le général Alessandri, nommé commandant de la zone opérationnelle du Tonkin, s’oppose par tous les moyens d’influence à une évacuation. Laquelle, pourtant décidée et approuvée par le gouvernement dès 1949, est dès lors ajournée.

entrée sud de cao bang

C’est ainsi que, sur cette route coloniale 4, entre Lang Son et Cao Bang, près du col de Lung Phai, au km 78, le 3 septembre 1949, fut tué notre oncle André. Il n’aura pas souffert, à cette époque, les viets ne faisaient pas de prisonniers. Ils achevaient les survivants blessés à la machette.

Le corps n’a t’il pu être identifié ? A t’il été enfoui dans la végétation et la boue en pleine saison des pluies ? C’est l’hypothèse la plus vraisemblable. Il y a aussi la possibilité des fauves prédateurs… Mais peut-être a t’il été enterré sur place par les colonnes suivantes.

Le Lt Col. Jaubert, à la fin de ses mémoires, écrit qu’il est retourné sur les lieux en 1995 :

“ J’ai cherché le cimetière de DONG KHE, pour essayer de retrouver la tombe du Capitaine CASANOVA, de mon sous-officier adjoint, et de nos tirailleurs, que j’avais enterrés. Mais il y avait une école à sa place… Après avoir interrogé bien des gens dans le village, j’ai appris que les restes de nos soldats avaient été officiellement exhumés et transportés à HANOÏ. Ils sont très certainement maintenant à la Nécropole de FREJUS, parmi les 4000 «inconnus»  rapatriés. ”

 

3ème R.E.I (Cao-Bang puis Dong-Khé) de 1947 à 1950

3 du 3e R.E.I.

Épilogue au Tonkin

Fin 1949, la République Populaire de Chine prend le contrôle des zones frontières chinoises, après en avoir chassé les nationalistes de Tchang Kaï-Cheik. Dès cette date, la Chine accueille des camps d’entrainement du Viet Minh, où des unités sont organisées, formées et équipées de façon moderne, non plus seulement pour la guérilla, mais aussi maintenant pour la guerre conventionnelle, y compris avec des soutiens d’artillerie. La guerre change donc de nature le long de la frontière chinoise, que longe la RC4. De grandes unités Việt Minh conventionnelles peuvent maintenant opérer, ravitaillées par des lignes logistiques partant de Chine populaire.

Le taux de pertes, l’insécurité des postes militaires, l’usure des unités conduisent à ce constat : le Viêt Minh devient une force militaire dotée de moyens de feux puissants et montrant une mobilité imprévisible. Le soutien matériel et logistique des forces maoïstes lui permet de passer à l’offensive. La décision de repli est prise, mais sa réalisation, à la fois trop tardive et mal conduite, entraîne une sévère défaite du corps expéditionnaire. (DR)

evacuation de lan son 1950

évacuation de Lan Son 1950

Cette cuisante défaite, fut effectivement meurtrière, le 3e R.E.I. y perdit la quasi totalité de ses effectifs. Il est désormais admis le chiffre de 5000 morts, tous régiments confondus.

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3e R.E.I. vers Cao Bang

Si André avait survécu à l’embuscade du km 78, il serait mort quelques mois plus tard avec ses camarades de bataillon, ou pire, dans les marches exténuantes des prisonniers vers les camps où beaucoup périrent affamés, de maladies causées par le manque d’hygiène, ou victimes de sévices cruels.

Voici ce qu’écrit le sous-lieutenant Stien sur ce sujet, alors que, captif, il parcourt la région avec ses camarades du camp n° 1 :
“ Après la descente du col, notre colonne de tù binh (prisonniers) traverse maintenant le sinistre défilé de la 73/2, ainsi appelé du nom de l’unité du Génie qui a percé la route dans ce relief d’enfer. La 73/2 était dans les années 1947-1950, le lieu privilégié d’embuscades contre les ouvertures de route. La RC 4 y est dominée de part et d’autre par des murailles calcaires. Un ravineau à gauche, un léger plat broussailleux à droite permettent aux assaillants un camouflage parfait. C’était alors une embuscade courte et violente, un assaut immédiat avec achèvement des blessés. Les légionnaires du 3° Etranger appelaient la RC 4 la “Route sanglante”, mais la 73/2 était le “Boulevard de la mort”. En escorte de convoi, on ne respirait vraiment qu’après avoir passé ce défilé oppressant. Le colonel Charton qui chemine à mes côtés, évoque avec tristesse tous les légionnaires tombés dans ce lieu :
– Vous savez, Stien, si l’on pouvait entendre les cris de tous ceux qui sont tombés ici, il faudrait se boucher les oreilles pour avancer ! ”

campmort3Prisonniers français en route pour les “camps de la mort”

Notre oncle André est arrivé au Maroc en 1934, juste après les derniers combats de la colonisation. Sa participation aux combats de la RC4 en 1949 marque le début de la fin de l’empire colonial français.

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  Andre legionnaire1946 À venir le petit musée et lettres à sa famille

5 réflexions sur “André Fleury : son histoire dans l’Histoire 6

  1. J ai lu avec attention le triste sort réservé à ces soldats et à cet oncle inconnu . de lui nous ne savions pas grand chose …
    notre mère nous parlait de ce grand frère disparu et du chagrin de sa disparition.
    je me souviens d être allée gamine au monument aux morts à Chagey quand le nom de cet oncle y a été ajouté ..
    merci pour ces recherches…

  2. bravo pour vos recherches que j’ai lues avec beaucoup
    d’attention .triste parcours pour l’oncle André
    et triste fin comme beaucoup de soldats
    Merci pour votre travail qui nous a fait connaître
    un peu mieux cet oncle dont on nous a tant parlé

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